Epouse de Clovis, mère de 3 enfants, Clotilde, d’origine burgonde, a toujours eu le souci de faire découvrir à son mari le trésor de la foi chrétienne, contrant ainsi certains des conseillers de Clovis, qui le poussaient au contraire fortement vers l’arianisme. Selon cette doctrine hérétique, d’inspiration chrétienne initiée par le prêtre Arius d’Alexandrie au IV ème siècle, « le Christ est semblable au Père, mais non de même nature. Dès lors, seul le Père est vraiment Dieu. Il est tout. Qualifié de despotès en grec (qui a donné despote en français), et non de Kyrios [qui veut dire Seigneur] comme le font les catholiques (…), Dieu est alors le maitre absolu de toute chose, tout puissant, sans relais ni intermédiaire avec les hommes. Les ariens n’ont [pas de théologie de l’Eglise], refusent le culte des saints et donnent au roi un rôle liturgique spécial, puisqu’il communie à un calice qui lui est réservé, et qu’il dirige le clergé et le peuple arien. Il est presque un roi-prêtre, statut fort proche de celui des chefs de guerre païens »[1]. C’est pourquoi le choix de l’arianisme aurait été -à vue humaine seulement- plus bénéfique, pour Clovis, d’après le rapport des forces politiques européennes, puisque « l’internationale arienne, sous la direction de Théodoric, roi des Ostrogoths, regroupe les Vandales, les Wisigoths, les Burgondes et surtout maîtrise le terrain grâce à l’arme absolue qu’était alors la cavalerie lourde ostrogothique »[2]. Autrement dit, pour le roi des Francs, le choix entre la position catholique de sa femme et celui de l’arianisme de ses proches peut être exprimé de la façon suivante : « choisir l’arianisme permettait de conserver tout son pouvoir. Choisir le catholicisme, c’était accepter un Dieu de faiblesse qui s’est laissé crucifier. Les Francs ne pouvaient approuver un tel abandon de la victoire. Dès que leur chef était battu, ils le détrônaient. Ce fut ce qui se passa lorsque Sigismond, roi des Burgondes converti au catholicisme, fut battu (…). Que faire ? »[3]. Tel est le grand dilemme de Clovis, qui s’interroge d’autant plus que le contexte social et économique est éprouvant : pénuries, mauvaises récoltes, révoltes sociales, guerre civile, etc. Du côté de l’Eglise, le renouveau du paganisme conjugué au succès de l’arianisme accentuent les persécutions (de la part des Wisigoths et de Burgondes, en particulier) et les épreuves, en la fragilisant fortement : comme la déportation en Tunisie de 466 évêques par Thrasamund, les sièges épiscopaux demeurés vacants en Aquitaine à cause du roi Euric, des évêques condamnés à l’exil pour avoir osé dénoncer Alaric II, en Aquitaine, entre autres.
Quelques rencontres déterminantes
D’abord, les liens tissés par Clovis avec Geneviève ont joué un rôle important dans son cheminement spirituel. Qui est cette vierge consacrée, aujourd’hui sainte patronne de Paris ? Née en 421 à Nanterre, cette femme était habitée par le désir de « la conversion des Francs Saliens et de leur roi »[4], et travaillait à la réconciliation des uns et des autres, en demandant, par exemple, la libération des prisonniers de guerre de Childéric et de Clovis[5]. Jusqu’à sa mort en 502, Geneviève a assumé un rôle politique important. Quant à Clotilde, elle a essayé de son côté de faire ce qu’elle pouvait pour faire découvrir à son mari le visage chrétien de Dieu, par exemple, lors de la disparation de leur 1er enfant, parce que cette épreuve a bloqué Clovis, dans son itinéraire de foi, scandalisé qu’un enfant, pourtant baptisé, puisse mourir. C’est pourquoi il « fit se lever dans l’esprit du roi l’objection d’un Dieu auteur du mal, puisqu’il permet la disparition de l’innocent »[6], disant plus ou moins à son épouse : « c’est votre Dieu, qui est la cause de la mort de l’enfant ; si je l’avais consacré aux miens, il vivrait encore ». Mais Clotilde ne baisse pas les bras et fait en sorte que son mari rencontre Rémi, évêque de Reims, afin de lui présenter un exposé théologique des questions soulevées par l’arianisme. « Ces discussions, secrètes par peur des Francs, portèrent sur le credo, en particulier la phrase du credo de Constantinople (381) « engendré non pas créé », que refuse l’arianisme ainsi que l’expression « Je crois en Dieu le Père tout-puissant ». Dans ce dernier cas, il y allait d’une réponse personnelle précise : l’amour du Père est-il vraiment tout-puissant ? ». Après avoir fait appel à st Rémi, ce fut au tour de st Vaast, ermite –devenant plus tard évêque d’Arras-, de reprendre les discussions avec Clovis, mais en les situant davantage sur un plan mystique. Cependant, ce fut un événement de prière de piété populaire à Tours qui a fait basculer Clovis à demander, personnellement, à recevoir le baptême chrétien.[7] « En effet, une lettre de l’évêque Nizier de Trèves explique comment, devant le tombeau de saint Martin de Tours, au spectacle de la foule en prière et des miracles qui aboutissaient à la guérison de nombreux malades, Clovis finit par promettre de se faire baptiser « sans délai ». C’était la manière de dire qu’il avait longtemps repoussé sa décision. Ceci dut avoir lieu le 11 novembre 498. On aura remarqué que durant ce long chemin de conversion qui dura sept ans, tous les modes possibles de connaissance de Dieu furent proposés à Clovis : la controverse rationnelle, l’exposé théologique, la voie mystique, pour finir avec la participation d’une Eglise en prière. N’oublions pas que cette décision personnelle fut prise dans un contexte international contraire aux intérêts du roi ». [8]
Le baptême de Clovis, le 25 décembre 498[9], à la cathédrale de Reims
De façon surprenante, ce baptême a été déplacé de la nuit de Pâques à celle de Noël : il s’agit de « symboliser la naissance des temps nouveaux. Clovis est en effet le premier prince germanique qui accepte volontairement le catholicisme »[10]. Effectivement, à la suite de son baptême, Clovis a connu un certain nombre de défaites, vers 500-501. Les catholiques armoricains ne l’ont pas non plus ménagé, en obtenant une indépendance de sa part. Mais, après une victoire déterminante, en 507, Clovis « revint par Tours, où il célébra sa nomination par l’empereur de consul (…), ce qui faisait de lui un véritable vice-empereur de l’ancien Empire d’occident. Ceci explique que Clovis n’ait jamais terminé la conquête de la Gaule (…). Ce furent Clotilde et ses fils qui menèrent à bien cet achèvement avec la conquête de la Burgondie en 534 et l’annexion de la Provence en 536. L’important est ailleurs : pour les contemporains, Clovis alliait les Francs aux Romains, sauvait l’universalité romaine et surtout restaurait l’universalité catholique face aux particularismes ethniques qu’étaient les systèmes gothiques ariens. »
Quelles furent les conséquences de ce baptême pour la France ? La foi de Clovis « a d’abord été un refus du pouvoir totalitaire, l’acceptation de la nouveauté radicale intégrale qu’est un Dieu d’amour. Les trois dernières années de son règne furent consacrées à la construction d’une politique chrétienne de son royaume. De même que le dogme de la Sainte Trinité, unité dans l’indivision, est une relation perpétuelle d’amour entre les trois Personnes, de même la construction d’un Etat chrétien, dans le cadre de l’union de l’Eglise et de l’Etat, proclamée en 392, impliquant des rapports de liberté et d’égalité entre le roi, les clercs et les laïcs. Il ne pouvait plus être question d’un roi-prêtre païen, ni d’un roi arien chef d’Etat et chef d’Eglise. L’Empire romain avait mis au point la notion d’Etat, la Res Publica, organisme politique chargé d’assurer le bien commun par l’application du droit, Clovis a compris que l’organisme politique de base germanique, la famille large [c’est-à-dire un modèle de type polygame, avec la caractéristique d’une domination matriarcale] suscite la violence et la guerre[11]. Il fallait donc choisir le droit comme solution des conflits et le mariage monogame indissoluble pour assurer la stabilité d’une société où allaient ainsi se mélanger les populations ».[12] Par ailleurs, devant les grandes questions auxquelles il a fait face, comme « la tentation totalitaire du pouvoir, la violence érigée en unique solution, une Eglise confondue avec l’Etat », Clovis « y a répondu par des principes religieux qui fondent une société : libre acceptation de la foi (…), libre acceptation de l’autre, autonomie de l’Etat et de l’Eglise dans l’union et la relation, sans confusion, ni domination, à l’exemple de la Sainte Trinité. En reprenant l’héritage romain, celui du droit qui établit un contrat entre le citoyen et l’Etat (…), Clovis a fondé un organisme politique nouveau ».[13] À travers l’apport de cet homme d’Etat, il ne faut pas oublier que nous le devons aussi à la force d’âme de Clotilde.
Epreuves familiales
La mort de Clovis, le 27 novembre 511 laisse ainsi Clotilde veuve. Il a été décidé, à sa demande, d’enterrer son corps, dans la capitale de son Royaume, Lutèce, et plus précisément dans l’église des saints apôtres, aux côtés de sainte Geneviève, à qui Clovis doit aussi tant. En outre, sur le plan familial, elle a dû affronter la mort de son fils Clodomir, ainsi que l’assassinat de deux de ses petits-enfants par leur oncle.
Vie monastique et canonisation
Les dernières années de sa vie ont été vécues, à proximité du tombeau de st Martin, dans la prière et les œuvres de miséricorde. Puis, après sa mort, le corps de Clotilde rejoint celui de son mari, ainsi que celui de son amie Geneviève. Peu de temps après, elle fut canonisée, vers 560.
[1] M. Rouche, « le baptême de Clovis », Communio, n°XXI, 3-mai-juin 1996, Paris, p. 22-23
[2] Ibid., p. 24
[3] Ibid., p. 23
[4]Ibid., p.21
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Nous reprenons la thèse de Michel Rouche, pour qui l’événement de Tours, probablement du 11 novembre 498, fut le facteur déterminant pour la décision du baptême de Clovis, et non pas la victoire remportée à Clovis à Tolbiac, en 496, comme le soutient l’historien Grégoire de Tours. L’universitaire parisien rapporte ainsi : « au moment d’être complètement écrasé, on sait que le roi prêta serment de recevoir le baptême si le « Dieu de Clotilde » lui donnait la victoire. Contrairement à ce qui fut affirmé jusqu’au milieu du siècle, malgré sa victoire, Clovis n’accomplit point son vœu en cette année 496 », ibid., p.22. Pour approfondir la question, je renvoie à sa biographie universitaire de référence : M. Rouche, Clovis, Paris, Fayard, 1996.
[8]M. Rouche, « le baptême de Clovis », Communio, n°XXI, 3-mai-juin 1996, Paris, p.24
[9] Je reprends la thèse de M. Rouche, pour qui Clovis s’est décidé au baptême, après 6-8 années de réflexion, c’est-à-dire vers 498 ou 499, contrairement à la thèse de Grégoire de Tours (Histoire des Francs, livre II, chap. 31) d’une fête de Noël 496
[10] Ibid.,p.25
[11] Ces propos sur le lien entre ce modèle de polygamie et la violence pourront étonner le lecteur. C’est pourquoi je renvoie à son livre : M. Rouche, Sexualité, intimité et société sous le regard de l’Histoire, Chambray-lès-Tours, CLD, 2005
[12] M. Rouche, « le baptême de Clovis », Communio, n°XXI, 3-mai-juin 1996, Paris, p.26-27
[13] Ibid., p.28-29