En cette fête de sainte Thérèse, nous vous proposons de nous plonger dans sa correspondance. Les extraits choisis nous montrent l’orientation eschatologique de sa vie. En ces temps difficiles, laissons-nous enseigner par sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, qui nous fait comprendre que notre vie et celle du monde n’ont de sens que dans la perspective du Ciel et donc dans l’accomplissement du dessein de Dieu.
« Aimer Jésus et le faire aimer »
Dans sa lettre adressée à l’abbé Bellière[1], Thérèse lui confie : « ce que nous Lui demandons, c’est de travailler pour sa gloire, c’est de l’aimer et de le faire aimer ». « Si Le Seigneur me prend bientôt avec Lui, je vous demande de continuer chaque jour la même petite prière, car je désirerai au Ciel la même chose que sur la terre : Aimer Jésus et le faire aimer.
Monsieur l’abbé, vous devez me trouver bien étrange, peut-être regrettez-vous d’avoir une sœur qui paraît vouloir aller jouir du repos éternel et vous laisser travailler seul… mais rassurez-vous, la seule chose que je désire, c’est la volonté du Bon Dieu, et j’avoue que si dans le Ciel je ne pouvais plus travailler pour sa gloire, j’aimerais mieux l’exil que la patrie. Je ne connais pas l’avenir, cependant si Jésus réalise mes pressentiments, je vous promets de rester votre petite sœur Là-haut. Notre union loin d’être brisée deviendra plus intime, alors il n’y aura plus de clôture, plus de grilles et mon âme pourra voler avec vous dans les lointaines missions. Nos rôles resteront les mêmes, à vous les armes apostoliques, à moi la prière et l’amour… ».
Se reposer auprès du « brasier dévorant de l’Amour » du Cœur de Jésus
Dans une lettre écrite à ce séminariste, qu’elle appelle depuis avril, mon « cher petit frère », elle partage son expérience spirituelle sur la miséricorde divine :
« Ne croyez pas m’effrayer en me parlant « de vos belles années gaspillées ». Moi je remercie Jésus qui vous a regardé d’un regard d’amour comme autrefois le jeune homme de l’Evangile. Plus heureux que lui, vous avez répondu fidèlement à l’appel du Maître, vous avez tout quitté pour Le suivre, et cela au plus bel âge de la vie, à 18 ans. Ah ! Mon frère, comme moi vous pouvez chanter les miséricordes du Seigneur, elles brillent en vous dans toute leur splendeur… Vous aimez st Augustin, Sainte Madeleine, ces âmes auxquelles « beaucoup de péchés ont été remis parce qu’elles ont beaucoup aimé ». Moi aussi je les aime, j’aime leur repentir, et surtout… leur amoureuse audace ! Lorsque je vois Madeleine s’avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu’elle touche pour la première fois ; je sens que son cœur a compris les abîmes d’amour et de miséricorde du Cœur de Jésus, et que toute pécheresse qu’elle est, ce Cœur d’amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l’élever jusqu’aux plus hauts sommets de la contemplation.
Ah ! Mon cher petit Frère, depuis qu’il m’a été donné de comprendre aussi l’amour du Cœur de Jésus, je vous avoue qu’il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m’humilie, me porte à ne jamais m’appuyer sur ma force qui n’est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d’amour. Comment lorsqu’on jette ses fautes avec une confiance toute filiale dans le brasier dévorant de l’Amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour ? Je sais qu’il y a des saints qui passèrent leur vie à pratiquer d’étonnantes mortifications pour expier leurs péchés ; mais que voulez-vous, « Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père Céleste ». Jésus l’a dit et c’est pour cela que je suis la voie qu’Il me trace. Je tâche de ne plus m’occuper de moi-même en rien, et ce que Jésus daigne opérer en mon âme je le lui abandonne, car je n’ai pas choisi une vie austère pour expier mes fautes, mais celles des autres ». [2]
« Ma mission va commencer »
« Je sens que je vais entrer dans le repos… Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. Ce n’est pas impossible, puisqu’au sein même de la vision béatifique, les Anges veillent sur nous. Je ne puis pas me faire une fête de jouir, je ne peux pas me reposer tant qu’il y aura des âmes à sauver… Mais lorsque l’Ange aura dit : « le temps n’est plus ! » alors je me reposerai, je pourrai jouir, parce que le nombre des élus sera complet et que tous seront entrés dans la joie et le repos. Mon cœur tressaille à cette pensée.[3]
Elle écrit, le lendemain, à son « pauvre et cher petit Frère », en lui confiant un testament spirituel :
« Oui, j’en suis certaine, après mon entrée dans la vie la tristesse de mon cher petit frère se changera en une joie paisible qu’aucune créature ne pourra lui ravir. Je le sens, nous devons aller au Ciel par la même voie, celle de la souffrance unie à l’amour. Quand je serai au port je vous enseignerai, cher petit frère de mon âme, comment vous devrez naviguer sur la mer orageuse du monde avec l’abandon et l’amour d’un enfant qui sait que son Père le chérit et ne saurait le laisser seul à l’heure du danger. Ah ! Que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Cœur de Jésus, ce qu’Il attend de vous. Dans votre lettre du 14 vous avez fait tressaillir doucement mon cœur, j’ai compris plus que jamais à quel point votre âme est sœur de la mienne puisqu’elle est appelée à s’élever vers Dieu par l’ASCENSEUR de l’amour et non pas à gravir le rude escalier de la crainte… Je ne m’étonne en aucune faon que la pratique de la familiarité avec Jésus vous semble un peu difficile à réaliser ; on ne peut y arriver en un jour, mais j’en suis sûre, je vous aiderai beaucoup à marcher par cette voie délicieuse quand je serai délivrée de mon enveloppe mortelle, et bientôt, comme st Augustin, vous direz : « L’amour est le poids qui m’entraine ». [4]
[1] Lettre du 24 février 1897
[2] Lettre du 21 juin 1897
[3] Lettre du 17 juillet 1897
[4] Lettre du 18 juillet 1897