Le lundi 8 décembre, lors de la 2e apparition (14H), à la question « Madame, êtes-vous notre Maman du Ciel ? », la Vierge Marie répond positivement en reprenant les mots de la fillette, et en confirmant ainsi sa maternité spirituelle qu’elle exerce pendant le temps de l’Eglise, jusqu’à la fin des temps. C’est en méditant Jn 19, 26-27 que nous pouvons mieux comprendre l’expression « Maman du Ciel » : « Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui » ». (Jn 19, 26-27)
Une maternité marquée par les douleurs de l’enfantement
Dès le ministère public de Jésus, le Vierge Marie exerçait déjà sa maternité à l’égard des disciples, puisque, selon la théologienne Ysabel de Andia1 « le don de Jean à Marie et de Marie à Jean, par Jésus, à la Croix, est le fruit de la foi de Marie qui, à Cana, a engendré Jean à la foi en Jésus ». Cependant, c’est à la Croix, que la maternité de la Vierge Marie prend une ampleur universelle à l’égard de toute l’humanité rachetée par le sang du Christ2. Pour dire autrement, en reprenant le concile Vatican II3, Marie coopère, d’une façon unique, à l’enfantement à la vie nouvelle des hommes dans le Christ. Cela explique la place singulière de la Sainte Vierge dans le dessein de Dieu.
La révélation de cette maternité spirituelle de Marie à l’attention de tous les hommes est le fruit d’une préparation intérieure multiséculaire au sein du peuple d’Israël4. Si Marie, nouvelle Eve, inaugure une nouvelle création, c’est parce qu’elle accomplit toutes les prophéties relatives à la maternité messianique de la Femme de Sion5, enfantant et rassemblant le peuple de la nouvelle Alliance.
La révélation biblique a annoncé que cet enfantement sera vécu dans la douleur. C’est ainsi qu’Isaïe décrit cette « femme enceinte sur le point d’enfanter, qui se tord et crie dans les douleurs » (Is. 26, 17) et rappelle que l’enfantement d’une nation prend du temps : « Peut-on mettre au monde un pays en un jour ? Une nation est-elle enfantée en une fois ? » (Is 66, 8). Dans le NT, Jean rapporte aussi la souffrance pour cette Femme, aussi bien dans le livre de l’Apocalypse (mentionnant les « douleurs de l’enfantement », Ap.12, 2) que dans le 4ème évangile (« La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde », Jn 16, 21). C’est ainsi que si Marie enfante dans les douleurs de la Passion, c’est pour engendrer à la nouvelle naissance en Christ, en faisant participer à la vie du Ressuscité.
Sa venue en Touraine est une manifestation de sa maternité universelle, avec pour unique but d’enfanter à la vie nouvelle en Jésus-Christ. En 1947, elle est apparue dans un contexte dramatique, rappelant ainsi les douleurs de l’enfantement à la vie nouvelle des disciples, à travers son invitation à la prière pour les pécheurs et à faire des sacrifices. Et il ne faut pas oublier que ces apparitions nous délivrent un fort message d’espérance, nous confortant ainsi que Notre-Dame de la Prière demeure bien à nos côtés, continuant à offrir son amour maternel, sans limites, à l’égard de l’humanité pécheresse, y compris dans un contexte historique éprouvant.
Devenir enfant de Marie, à la suite du disciple bien-aimé
Que signifie ce qualificatif de « bien-aimé » ? S’agit-il d’un disciple qui aurait bénéficié d’un amour personnel privilégié de la part de Jésus ? Il faudrait peut-être comprendre, entre autres, que ce disciple bien-aimé serait le modèle du disciple ayant accueilli dans sa plénitude l’amour trinitaire, en demeurant en Dieu (« Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. » Jn 14, 21). Pour dire autrement, ce disciple bien aimé est la figure de celui qui demeure uni au Cœur de Jésus, témoin du mystère pascal (« C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut » Jn 20, 8) et attestant la vérité de la Parole (« C’est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est vrai », Jn 21, 24).
Selon l’exégète André Feuillet, Jean n’a compris que plus tard la portée de la parole testamentaire de Jésus sur la Croix. « Sur le moment Jean n’a compris qu’une chose, il lui fallait recueillir dans sa maison la mère de Jésus. Mais plus tard, dans la lumière pascale (Jn 2, 22), il se rendit compte que Jésus avait fait là quelque chose de beaucoup plus grand »6. A la suite de st Jean, nous avons besoin, nous aussi, de temps, avec un rythme différent selon les uns et les autres, pour découvrir à quel point l’accueil de la maternité spirituelle de Marie transforme notre chemin de foi. C’est pourquoi recevoir Marie est un des grands dons spirituels que Dieu offre aux disciples bien-aimés7.
Accueillir l’Heure de Dieu avec Marie
À l’île Bouchard, le rapport au temps est un élément à bien prendre en considération, lors des événements de 1947. C’est ainsi que Marie apparaît dans un moment important de l’après-guerre en France, pouvant faire basculer l’histoire d’un peuple dans une direction ou une autre, à l’image de notre vie, au cours de laquelle nous nous situons parfois à une croisée des chemins. De même que le rapport au temps est un élément important lors des apparitions de l’île Bouchard, de même, il est aussi un élément important dans l’évangile de st Jean, exprimé, entre autres, à travers le terme d’ « Heure », situé de façon précise à différents moments de cet écrit néotestamentaire. Plus précisément, la mission de Jésus avance ainsi, à travers le rythme déterminé par l’Heure de Dieu, par l’Heure visant à la glorification du Père, en accomplissant l’œuvre du salut, s’unissant à la personne de l’Esprit Saint.
Pour nous aussi, nous pressentons bien que notre époque bouge beaucoup actuellement sur différents plans, nous situant aussi à la croisée des chemins. Toutefois, la révélation chrétienne nous enseigne que l’œuvre du salut est orientée, selon la Providence divine, vers l’événement de la Parousie, c’est-à-dire de la manifestation glorieuse du Christ à la fin des temps. Autrement dit, que ce soit au début de l’ère chrétienne, en 1947 ou aujourd’hui, la finalité de notre vie demeure la même, qui est d’œuvrer au service de la glorification de Dieu. C’est pour cela, qu’il convient d’accueillir le don de Dieu, à travers la maternité spirituelle de Marie, pour qu’elle nous accompagne dans ce chemin de transformation –tant sur le plan personnel que communautaire- pour devenir des disciples « bien-aimés », pleinement configurés à Jésus, Fils de Marie.
Notes
1. Y. de Andia, « le vin de Cana », p.117 cité par M-V Meurice, Voici ta mère, Paris, 2010, p.320
2. « Même si, dans le dessein de Dieu, la maternité de Marie était destinée, dès le début, à s’étendre à toute l’humanité, c’est seulement au calvaire qu’en vertu du sacrifice du Christ, elle se manifeste dans sa dimension universelle » (Jean-Paul II, 49, 3, 4)
3. « En concevant le Christ, en le mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant dans le Temple à son Père, en souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. C’est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère ».(Vatican II, constitution Lumen Gentium, n°61)
4. « Les livres de l’Ancien Testament, en effet, décrivent l’histoire du salut et la lente préparation de la venue du Christ au monde. Ces documents primitifs, tels qu’ils sont lus dans l’Église et compris à la lumière de la révélation postérieure et complète, font apparaître progressivement dans une plus parfaite clarté la figure de la femme, Mère du Rédempteur. Dans cette clarté, celle-ci se trouve prophétiquement esquissée dans la promesse (faite à nos premiers parents après la chute) d’une victoire sur le serpent (cf. Gn 3, 15). De même, c’est elle, la Vierge, qui concevra et enfantera un fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel (cf. Is 7, 14 ; cf. Mi 5, 2-3 ; Mt 1, 22-23). Elle occupe la première place parmi ces humbles et ces pauvres du Seigneur qui espèrent et reçoivent le salut de lui avec confiance. Enfin, avec elle, la fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s’accomplissent les temps et s’instaure l’économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu, par elle, prit la nature humaine pour libérer l’homme du péché par les mystères de sa chair ». (Vatican II, constitution Lumen Gentium, n°55)
5. « Mais on appelle Sion : « Ma mère ! » car en elle, tout homme est né. C’est lui, le Très-Haut, qui la maintient. » (Ps. 86, 5)
6. A. Feuillet, « les adieux du Christ à sa mère (Jn 19, 25-27) et la maternité spirituelle de Marie, Nouvelle revue théologique 86, 1964 », p. 472
7. Comme dit st Jean-Paul II, « La dimension mariale de la vie d’un disciple du Christ s’exprime précisément, d’une manière spéciale, par cette offrande filiale à la Mère de Dieu, qui a commencé par le testament du Rédempteur sur le Golgotha. En se livrant filialement à Marie, le chrétien, comme l’Apôtre Jean, «reçoit parmi ses biens personnels» 130 la Mère du Christ et l’introduit dans tout l’espace de sa vie intérieure, c’est-à-dire dans son «moi» humain et chrétien: «Il l’accueillit chez lui». Il cherche ainsi à entrer dans le rayonnement de l’«amour maternel» avec lequel la Mère du Rédempteur «prend soin des frères de son Fils» 131, «à la naissance et à l’éducation desquels elle apporte sa coopération» 132 à la mesure du don qui est propre à chacun de par la puissance de l’Esprit du Christ. Ainsi également s’exerce la maternité selon l’Esprit, qui est devenue le rôle de Marie au pied de la Croix et au Cénacle » (Jean-Paul II, encyclique Redemptoris Mater, 1987, n°45)